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(Extrait du magazine Silence N°202 - Mars 1996) ENERGIE SOLAIRE La moitié des habitants du monde brûlent du bois pour faire cuire leurs aliments, mais actuellement plus d'un milliard et demi de personnes ont des difficultés pour trouver ce combustible. Si l'on ne fait rien, cette situation ne pourra qu'empirer car il y a toujours plus d'habitants sur la Terre et de moins en moins d'arbres. En l'an 2000, selon les estimations des Nations Unies, 2,4 milliards de personnes souffriront de la pénurie de bois. La désertification croissante entraîne, par ailleurs, de nombreuses dégradations de l'environnement :
Comme les régions concernées sont généralement très ensoleillées (avec quelquefois plus de 300 jours de soleil par an), il est naturel d'envisager l'utilisation de l'énergie solaire pour faire cuire les aliments toutes les fois que cela est possible, en réservant le bois - cette énergie solaire en conserve - pour les heures et les jours sans soleil. De nombreuses recherches, effectuées un peu partout dans le monde, ont abouti à
la production de toutes sortes de cuiseurs solaires. (1) (2) (3) Récemment la situation s'est enfin débloquée grâce à l'émergence presque simultanée des trois facteurs suivants :
Né à Lyon L'Association Lyonnaise pour l'Etude et le Développement de l'Energie Solaire (ALEDES), basée à l'Université Lyon 1, s'intéresse à la cuisson solaire depuis une quinzaine d'années. Plusieurs appareils y ont été mis au point, puis expérimentés dans divers pays du tiers monde : le Sénégal, le Burkina-Faso, le Mali, la République Centrafricaine, le Vietnam, Haïti. En général les cuiseurs ont bien fonctionné, mais ils se sont révélés trop sophistiqués, donc trop difficiles à fabriquer et trop coûteux pour que l'on puisse envisager leur diffusion à grande échelle. Paradoxalement, c'est en cherchant à résoudre un autre problème que nous avons imaginé un cuiseur qui allait finalement bien marcher en Afrique. Une association, désireuse de faire découvrir l'énergie solaire aux écoliers, nous avait demandé de concevoir un appareil assez simple pour que des enfants d'une dizaine d'années puissent le construire, sans outils, en moins d'une heure. Nous avons d'abord pensé au cuiseur-boîte, constitué par deux cartons placés l'un dans l’autre avec une isolation sommaire entre les deux (papier froissé) et recouverts d'une fenêtre pour capter les rayons du Soleil (4). On peut améliorer les performances de cet appareil en recouvrant ses parois intérieures d'une feuille d'aluminium qui réfléchit un supplément de rayons sur le récipient à chauffer. Mais il nous a semblé un peu risqué de faire manipuler par des enfants une vitre qui peut facilement tomber, se casser et couper des doigts. Par souci de sécurité, nous avons donc été amenés à supprimer la fenêtre de la boîte, donc aussi l'isolation devenue inutile, et à augmenter, par contre, la superficie des parois réfléchissantes, pour compenser les pertes de chaleur ainsi provoquées. L'effet de serre n'y est plus assuré par une fenêtre fragile mais par un simple saladier en pyrex transparent retourné sur la marmite, comme on le voit dans la figure ci-dessus. Cet appareil a été obtenu par simple découpage d'un carton ayant contenu des bouteilles et sur les parois duquel on a collé une feuille d'aluminium ménager. Baptisé à Taylor C'est dans les montagnes de l'Arizona, à Taylor, qu'habite une pionnière de la cuisson solaire : Barbara Kerr qui a construit et diffusé les premiers cuiseurs-boîtes aux Etats-Unis dès les années 70 (5). Dès qu'elle a connaissance de ce nouveau prototype, elle en construit un et l'essaie, la cuisson solaire étant possible même en hiver, en Arizona. C'est elle qui le baptise "Panel cooker", c'est-à-dire cuiseur à panneaux (réfléchissants). Elle lui donne aussi une forme un peu différente permettant un pliage plus net et une meilleure stabilité. Comme ce nouveau modèle semble surtout destiné aux campeurs à cause de sa légèreté et de son faible volume une fois plié, Barbara Kerr remplace le saladier, relativement lourd et encombrant, par un sac en plastique transparent, de ceux qui résistent à la chaleur des fours (voir figure ci-dessous). En février 1994 paraissent conjointement, dans le Solar Box Journal, les descriptions du prototype initial (6) et du modèle modifié par Barbara Kerr (7). Elle présente aussi ces appareils, en juillet suivant, au Congrès international sur la cuisson solaire de Heredia (Costa Rica) (8). Optimisé à Sacramento Depuis 1987 existait à Sacramento, en Californie, l'association "Solar Cooker International" (SCI) dont le but était de diffuser les cuiseurs-boîtes dans le monde entier (voir encadré page suivante). Après Barbara Kerr, plusieurs membres de cette association construisent leur propre "Panel Cooker" et sont agréablement surpris par les résultats obtenus à si peu de frais. Chacun apporte alors ses idées pour améliorer encore la stabilité et l'efficacité de l'appareil. En particulier Beverly Blum, Edwin Pejack et Jay Campbell modifient le plan du cuiseur pour l'adapter aux régions tropicales et équatoriales. En effet, les trois panneaux réfléchissants verticaux, qui fonctionnent bien aux latitudes moyennes (par exemple en France) perdent de leur efficacité si le Soleil monte très haut dans le ciel car il leur envoie alors des rayons rasants. II convient donc d'incliner ces panneaux vers l'arrière, ce que l'on voit réalisé sur le dessin ci-dessus, où le panneau central n'a plus la forme d'un rectangle mais celle d'un trapèze.
"Le CooKit" pèse seulement 500 grammes et se plie dans un volume de 33 x 33 x 6
centimètres. Dans le bulletin d'informations de l'association, on lit (9) :
Adopté à Kakuma Les premiers contacts sur le terrain ont lieu en septembre 1994, à Nairobi, entre quelques membres de SCI venus de Californie et leurs homologues du Kenya. Avec l'autorisation de l'UNHCR (10), le lieu d'expérimentation choisi se trouve dans une zone semi-aride, au Nord-Ouest du Kenya. C'est le camp de réfugiés de Kakuma, où quelque 30 000 personnes survivent dans des conditions précaires. Deux fois par mois sont distribués des aliments et quelques rares morceaux de bois pour les faire cuire. Certains réfugiés vont abattre des arbres jusqu’à une dizaine de kilomètres du camp, ce qui provoque des disputes avec les autochtones. D'autres troquent une partie de leur maigre ration de nourriture contre le bois qui leur servira a faire cuire le reste. En janvier 1995 arrivent dans le camp Beverly Blum, directrice de SCI, Barbara Knudson, Jay Campbell et leur collègue du Kenya, Faustine Odaba qui leur servira d'interprète. Car les difficultés ne manquent pas avec tant de langues parlées dans le camp, tant de cultures et d'habitudes alimentaires différentes. Pour commencer, un petit groupe de réfugiées est constitué pour essayer la cuisson solaire de toutes les nourritures de base consommées sur place : riz, haricots, pain, sorgho et bouillie de maïs. Cette expérience ayant pleinement réussi, douze femmes acceptent d'essayer la cuisson solaire chez elles. Après deux jours de "travaux pratiques", elles emportent chacune un cuiseur, une marmite noire, un sac en plastique et trois rations de nourriture pour ne pas prendre de risque avec leur propre ration. Les membres de SCI organisent alors des visites à domicile et des réunions destinées à étudier les difficultés qui peuvent se présenter. Au bout de quelques semaines, les petites filles ont appris de leur mère l'utilisation du cuiseur et une femme se met à vendre des galettes cuites au soleil. Après un mois et demi, 69 familles utilisent régulièrement leur cuiseur et 16 femmes ont reçu une formation de formatrices pour enseigner la nouvelle technique aux autres. Après avoir surmonté quelques difficultés et malgré des temps de cuisson nettement plus longs qu'avec le feu, les Africaines commencent à découvrir et apprécier les avantages du cuiseur solaire :
Un observateur du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés écrit dans son rapport : "L'organisation et l'exécution du programme de SCI pour la formation ont été extrêmement impressionnantes. La participation des réfugiés est très importante et le nouveau cuiseur semble bien surmonter la plupart des problèmes rencontrés avec des appareils plus volumineux". En juin, le stock des cuiseurs venus d'Amérique étant devenu insuffisant, on commence à utiliser des appareils "Made in Kenya", fabriqués à Nairobi par des Africains. En septembre 1995, soit deux ans seulement après l'invention de ce type de cuiseur et grâce à l'efficacité de SCI, plus de 1000 familles l'utilisent, plus de 5000 personnes ont découvert concrètement que le Soleil peut les aider. D'après Bev Blum "les clés du succès sont un climat ensoleillé et des usagers qui1 - sont motivés (par exemple par la pénurie de combustible), 2 - reçoivent une formation adéquate, et 3 - sont encouragés à adapter la cuisson solaire à leurs besoins, en particulier au cours de réunions destinées à chercher des solutions à leurs problèmes" (11). J'ajouterai que la participation très majoritaire des femmes - aussi bien du côté de l'association SCI que du côté des utilisatrices - me semble avoir été une autre clé importante du succès à Kakuma. II reste à souhaiter que chacun comprenne maintenant l'importance de la cuisson solaire pour qu'elle ne soit pas seulement considérée comme une bouée de sauvetage dans les situations désespérées mais aussi comme un moyen d'alléger les tâches domestiques et de préserver l'environnement partout où le désert menace. Et que les responsables passent enfin à l'action avant la désertification plutôt qu'après. Roger Bernard * * *
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